Travail domestique et familial
Le travail domestique et familial n’est presque pas concerné par les discours et avancées égalitaires. Les jeux et les histoires proposé·e·s aux enfants, les publicités, les films, les discours publics, les échanges avec les collègues, l’employeur, la famille… le rappellent constamment : le travail ménager, s’occuper des enfants et des autres personnes dépendantes (parents âgés par exemple) restent considérés comme une affaire de femmes ! Et dans les faits, les statistiques attestent que les femmes consacrent en moyenne beaucoup plus de temps aux tâches domestiques et familiales que les hommes. En cas de présence d’enfants en bas âge, le travail domestique des mères est en moyenne le double de celui des pères.
La « conciliation » : un mot qui cache un nouveau modèle inégalitaire
Le modèle traditionnel de la femme au foyer et de l’homme gagne-pain semble révolu : on attend désormais des femmes qu’elles investissent également le marché de l’emploi (ce que la majorité des femmes de la classe ouvrière a d’ailleurs toujours fait !). Le nouveau modèle qui s’impose n’est toutefois pas celui d’un partage égalitaire des tâches domestiques, mais plutôt celui de la « conciliation » : c’est-à-dire que les femmes continuent à assumer l’essentiel du travail domestique et familial, à savoir le travail ménager, l’éducation des enfants et les soins aux proches dépendant·e·s (personnes malades, âgées, handicapées, etc), tout en exerçant un emploi, le plus souvent à temps partiel (cf. notice Travail rémunéré). Ainsi, plutôt que de « conciliation », il faudrait parler de « jonglage » pour rendre compte de ce que les féministes appellent la double journée de travail.
Selon les enquêtes de l’Office fédéral de la statistique, en 2016 les femmes consacrent en moyenne 28 heures au travail domestique et familial, contre 18 heures pour les hommes. Pour les mères d’enfants en bas âge, le nombre d’heures passe à 58, contre 33 pour les hommes, soit presque le double ! De plus, des recherches ont montré que dans leurs réponses à ces enquêtes statistiques les femmes ont plutôt tendance à sous-estimer le temps consacré au travail domestique, alors que les hommes le surévaluent. Au-delà du nombre d’heures, il y a également une inégalité dans la répartition du type de tâches domestiques : au niveau du travail ménager, la cuisine, la vaisselle, la lessive et le repassage restent des tâches essentiellement féminines, alors que les hommes prennent plutôt en charge des travaux d’entretiens, le jardinage, le bricolage. En ce qui concerne la prise en charge des enfants, les pères vont plutôt s’occuper des déplacements et des sorties loisirs, et surtout les soirs et les week-ends. Alors que les mères assurent la prise en charge quotidienne, nourrir, laver, coucher, soigner. La participation des hommes est ainsi plus occasionnelle ou à des horaires plus concentrés, alors que celle des femmes est répartie sur l’ensemble de la semaine et est plus fragmentée.
Les inégalités au sein de la famille se perpétuent non seulement à travers l’exemple de cette répartition inégale entre les parents, mais également par le fait qu’on exige souvent plus de travail ménager des filles que des garçons.
Les femmes réalisent plus de travail domestique… et alors ?
Ben, cela a plusieurs conséquences. Premièrement, le travail domestique n’est pas réglementé, il n’est pas concerné par la loi sur le travail ni par d’autres lois. Ce qui signifie qu’il n’y a pas de limite de temps de travail, de charge de travail, pas de protection de la santé, etc. Le travail domestique et familial, surtout s‘il signifie également les soins dispensés aux enfants ou à d’autres personnes dépendantes à charge, se caractérise par une disponibilité constante, une importante charge organisationnelle et émotionnelle. Par ailleurs, ce travail reste fortement dévalorisé et peu reconnu… au point que souvent on utilise le terme de « travail » pour désigner uniquement le travail rémunéré, lucratif. Le travail domestique et familial, non rémunéré, est rarement pris en compte par les économistes. Or, si on regarde de près, il s’agit d’un nombre énorme d’heures de travail réalisées gratuitement. L’Office fédéral de la statistique estime que si on devait payer les 2,3 milliards d’heures de travail effectuée par année pour la prise en charge des enfants et proches, il faudrait dépenser environ 100 milliards de francs par année.
Le travail domestique et familial représente une lourde charge, qui contribue a expliquer qu’en Suisse deux tiers des femmes travaillent à temps partiel (contre moins de 20% d’hommes). Or, qui dit emploi à temps partiel dit aussi salaire partiel, ainsi qu’une couverture limitée des assurances sociales, notamment au niveau des rentes de retraite. La généralisation du temps partiel féminin, avec les inégalités de salaires, expose tout particulièrement les femmes au risque de pauvreté, en particulier les femmes élevant seules des enfants. Par ailleurs, le travail à temps partiel, voire les interruptions plus ou moins longues de l’activité professionnelle pour s’occuper des enfants ou des proches, augmentent le risque de chômage et réduisent les possibilités d’avancement de carrière et l’accès à la formation continue.
Enfin, une dernière conséquence de ce partage inégal du travail domestique et familial est que les femmes ont moins de temps libre que les hommes : par exemple pour la France la différence a été estimée à une demi-journée par semaine.
Le manque de crèches et d’autres prises en charges collectives
A côté de la revendication d’un partage plus équitable du travail domestique et familial au sein du couple, les féministes militent pour la mise en place de structures d’accueil pour les enfants (crèches, mais aussi cantines scolaires, structures parascolaires, activités pour les vacances et le temps libre) et pour les personnes malades et dépendantes (EMS, autres structures d’accueil, soins et aides à domicile, etc.). Ces structures se sont passablement développées au cours des dernières décennies, mais restent insuffisantes. En comparaison européenne, l’offre suisse de structures d’accueil extrafamilial pour les enfants reste sous-développée : 30% des mères et 7% des pères réduisent leur activité professionnelle faute de solution de garde (estimation pour 2005). L’Institut de Microéconomie et Economie publique (MecoP) estime qu’en Suisse environ 20’000 femmes doivent renoncer à une activité lucrative par manque de structures d’accueil pour leurs enfants.
Par ailleurs, les tendances actuelles aux réductions des dépenses publiques remettent parfois en cause des structures existantes, la qualité de l’accueil ou les conditions de travail. Le plus souvent, ce sont d’ailleurs des femmes qui sont actives dans ces structures, à des postes souvent peu valorisés (financièrement et socialement). En l’absence de structures collectives, publiques ou privées, les familles qui le peuvent délèguent une partie de ce travail à d’autres femmes, souvent issues de classes populaires et migrantes, pour des salaires très bas et des conditions d’emplois précaires. Ces femmes laissent souvent dans leurs pays des enfants et autres personnes dépendantes, qui se retrouvent partiellement ou totalement privées d’aide. Cette externalisation renforce ainsi les inégalités entre femmes et entre régions du monde et ne conduit pas à un partage plus égalitaire de ce travail entre les sexes.
Pour aller plus loin :
Statistiques de l’OFS sur le travail domestique et familial : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/travail-remuneration/travail-non-remunere/travail-domestique-familial.html
Brochure du Bureau fédérale de l’égalité entre les femmes et les hommes :Reconnaissance et revalorisation du travail de care Agir pour l’égalité, 2010
Pfefferkorn, R. (2011). Le partage inégal des « tâches ménagères », Les Cahiers de Framespa (en ligne), 7, mis en ligne le 15 avril 2011.
Marche mondiale des femmes. (2018). Economie féministe et travail des femmes. Le travail des femmes sera traité au niveau politique en 2017 !
Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes. (2017). Fairplay-at-home. Site et brochure sur le partage des tâches à la maison.
Bureau d’études sociales et politiques BASS. (2002). Répartition du travail entre les sexes. Etat des lieux. Berne : BFEG.
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