Orientation et choix de formationpdf

Le choix d’une profession reste, de nos jours, toujours fortement attaché au sexe, autrement dit aux représentations sociales liées à la division sexuelle du travail et aux valeurs attachées aux différentes professions : tout se passe comme s’il y avait des professions d’hommes et des professions de femmes. Si formellement hommes et femmes ont les mêmes possibilités de formation, les voies qu’ils et elles choisissent sont très différentes et marquées par leur appartenance de sexe. On observe une permanence autour des choix des jeunes hommes plutôt pour des professions en lien avec la technique (ingénierie, etc.) et ceux des jeunes femmes pour des professions dans le domaine de la santé ou de l’enseignement par exemple. Ainsi, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), les élèves de moins de 20 ans en 1ère année de formation certifiante (formation initiale) sont en 2015 des femmes à 91,4% dans la Santé et 85,8% dans les Services sociaux, alors qu’elles ne sont que 6,3% en Informatique, 6,4% en Ingénierie et techniques et 13,5% en Architecture et bâtiment.

De nombreuses études se sont penchées sur la part jouée par les institutions de formation dans cette orientation parfois précoce des enfants et des jeunes, ainsi que sur les effets de la mixité en matière scolaire. Elles montrent que filles et garçons sont traité·e·s différemment les un·e·s des autres au sein de l’école : les enseignant·e·s ont des attitudes différentes envers elles et eux (elles/ils stimulent plus la participation des garçons que des filles, par exemple). Plus globalement le système scolaire leur transmet des normes, des valeurs et des savoirs qui sont construits autour de la division entre les sexes et qui sélectionnent et orientent les jeunes de manière différenciée. Il est toutefois impossible de dire que seule l’école et les professionnel·le·s qui en font partie jouent un rôle dans l’orientation : d’autres facteurs entrent en ligne de compte, des politiques de formation aux diverses instances de socialisation, en passant par les mécanismes psycho-sociaux de construction de soi.

Les choix de formation sont un élément identitaire important, ils représentent une manière de se projeter et de définir qui on est. Ils se passent en général durant l’adolescence, un moment de construction de son identité et d’apprentissage des normes du groupe social d’appartenance (reconnaissance par les pairs). Le fait que filles et garçons fassent des choix qui les répartissent dans des filières différentes révèle l’influence des normes de masculinité/féminité : choisir une formation n’implique pas uniquement une projection en termes de vie professionnelle et de carrière, c’est aussi une manière d’envisager son avenir au travail en tant qu’homme ou femme. Cela explique la difficulté de faire un choix dit atypique du point de vue du genre (voir plus bas) : les individus anticipent les difficultés qu’ils pourraient rencontrer ou tout simplement le décalage de leur envie avec les modèles qu’ils ont autour d’eux.

Ces choix d’orientation ont des conséquences en termes de carrière professionnelle : l’insertion professionnelle des filles est plus difficile que celle des garçons, car se déroulant dans des secteurs moins rentables et selon des modalités d’emploi moins susceptibles de permettre des promotions (voir notice Travail rémunéré).


Choix atypique

Derrière le choix « atypique » du point de vue du genre se cache la question de la mixité dans les professions, autrement dit la proportion d’hommes et de femmes qui les compose : on dit qu’une profession est peu (voire pas) mixte quand un des deux sexes n’y est représenté qu’entre 0 à 30%. Dans les hautes écoles spécialisées, c’est par exemple le cas dans le secteur de l’ingénierie (domaine où les jeunes femmes sont environ 10% à entrer, toutes filières confondues) ou de la santé (environ 15% des jeunes hommes, toutes filières confondues). Faire un tel choix de formation a un « coût » pour les élèves/apprenti·e·s/étudiant·e·s car elles/ils transgressent les normes sur lesquelles repose la division sexuée du travail (voir notice Travail rémunéré). Les conséquences d’un tel choix sont différentes pour les garçons et pour les filles, ce que montrent les chiffres suivants relatifs aux jeunes se destinant à un apprentissage professionnel : à l’âge de 16 ans, 5.6% des garçons contre 11.3% des filles aspiraient à un métier atypique en 2000, et à l’âge de 23 ans, la tendance s’est inversée : 20.7% des garçons et seulement 6.3% des filles exerçaient vraiment ce type de profession.

Pour les garçons, faire un choix atypique signifie s’orienter dans des métiers féminisés moins valorisés socialement ; les garçons sont associés au féminin, ce qui se traduit par exemple par un soupçon d’homosexualité ou l’idée qu’ils pourraient, pour ceux qui s’intéressent aux métiers de l’éducation, être motivés par un penchant pédophile. S’ils avancent dans leur choix, les hommes seront souvent récompensés en étant bien accueillis dans leur cadre de travail : on leur dit que leur secteur manque d’hommes et qu’ils amènent sérieux et autorité. Dans la suite de leur carrière, ils seront facilement menés à suivre une trajectoire ascendante en occupant des positions de cadre, pour lesquelles ils sont, en proportion, plus facilement recrutés : en raison de l’organisation sociale et des attentes envers les individus, ils bénéficient du fait que leurs collègues femmes vont diminuer leur activité (voire l’arrêter) quand elles deviennent mères – ce qui libère des places – et que les hommes sont considérés comme étant le principal pourvoyeur de salaire dans un couple.

Les filles, au terme de la scolarité obligatoire, sont plus nombreuses que les garçons à souhaiter pratiquer un métier atypique : le coût pour elles s’évalue cependant en termes de difficultés dans la concrétisation de leur aspiration, car elles sont souvent mises à l’épreuve durant leur formation (on s’étonne de leur présence, on fait comme si elles n’étaient pas là, on fait des blagues sur elles) et soumises à des formes de test (on veut voir si elles tiennent le coup) ; nombreuses sont celles qui vont abandonner et se réorienter. Outre ces formes d’hostilité ou de doutes sur leurs compétences et sur le fait qu’elles soient à leur place dans la formation qu’elles ont choisie, certaines vont également rencontrer des manifestations de ce qu’on appelle le sexisme bienveillant, c’est-à-dire des attentions ou remarques apparemment positives mais qui les mettent dans une position de personnes à protéger, envers qui il faut être un chevalier servant et qui sont, finalement, faibles, fragiles et non-autonomes.


Formation et socialisation

La formation professionnelle fonctionne comme un lieu de socialisation: adolescent·e·s ou jeunes adultes, filles et garçons y font l’apprentissage de la division sexuelle du travail et de la transmission des normes de genre (voir notices Assignation sociale de sexe). Qu’elle soit de niveau secondaire (CFC/formation duale) ou tertiaire, la formation met les jeunes en contact avec des groupes professionnels plus ou moins mixtes. Elles et ils y apprennent des gestes, des savoirs, des savoir-faire et des contenus mais également comment être un·e professionnel·le et ce que cela signifie. Elles et ils font l’expérience de différentes hiérarchies, entre activités (plus nobles ou plus sales) et à qui elles sont attribuées (en tant qu’apprenti·e·s ou personnes en formation, elles et ils sont placé·e·s dans une position de subordination).


Pour aller plus loin

Carvalho Arruda, C., Guilley, E. & Gianettoni, L. (2013). « Quand filles et garçons aspirent à des professions atypiques ». Reiso [en ligne]

Duru-Bellat, M. (2014). « L’école, premier vecteur de la ségrégation professionnelle? » Regards croisés sur l’économie, 2(15), 85-98.

Gianettoni, L., Carvalho Arruda, C., Gauthier, J.-A., Gross, D. & Joye, D. (2015). Aspirations professionnelles des jeunes en Suisse : rôles sexués et conciliation travail/famille. Social change in Switzerland N°3, http://www.socialchangeswitzerland.ch/?p=649

Lamamra, N. (2015). « Apprendre un métier et la division sexuelle ». Reiso [en ligne]

Lamamra, N. (2017), « Vocational education and training in Switzerland: A gender perspective. From socialisation to resistance », Educar, 53(2), 379‑396.

Mosconi, N. (2004). « Effets et limites de la mixité scolaire ». Travail, genre et sociétés, 1(11), 165-174. OFS, https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/situation-economique-sociale-population/egalite-femmes-hommes/formation/choix-professionnels-etudes.html

Rey, S. & Battistini, M. (2015). « Des trajectoires atypiques fortement genrées ». Reiso [en ligne]

Rey S., & Battistini M. (2016), « Chassez les stéréotypes, ils reviennent au galop! Choix atypiques de formation professionnelle et différenciation des groupes de sexe », Éducation et socialisation [en ligne], 42.

Sarlet M., & Dardenne B. (2012). « Le sexisme bienveillant comme processus de maintien des inégalités sociales entre les genres ». L’Année psychologique, 112(3), 435-463.

Vouillot, F. (2010). « L’orientation, le butoir de la mixité ». Revue française de pédagogie, 171, 59-67.


Vidéos :

Bureau vaudois de l’égalité entre les femmes et les hommes (BEFH) (2017), Lutter contre les stéréotypes de sexe: le Bureau de l’égalité au Salon des métiers, à voir sur : https://www.youtube.com/watch?v=Cgt_pyTF7rA

Ducret V., & Lamamra N. (2003), Sur les traces de parcours professionnels inattendus. Ed. ISPFP, document vidéo, 25’ (http://www.2e-observatoire.com/supports/dvd/film2.htm)))

Le deuxième Observatoire (2006), La technique, c’est pas mon genre ! Ed. Le deuxième Observatoire, 14’ (à voir sur : http://www.2e-observatoire.com/supports/dvd/film5_voir.htm).


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