Assignations sociales de sexepdf

Lorsque nait un enfant, l’observation des organes génitaux externes permet au personnel médical d’annoncer « c’est une fille » ou  « c’est un garçon », c’est à dire d’attribuer au nouveau-né une identité de sexe. Or, cette catégorisation en deux sexes n’est pas aussi évidente qu’il n’y paraît.


Certains individus présentent une morphologie génitale qui ne permet pas de leur attribuer un sexe ; par exemple, les médecins ne savent pas dire s’ils observent un « petit » pénis ou un « grand » clitoris. Dans les contextes modernes occidentaux qui considèrent que les être humains sont divisés en deux sexes naturels, ces morphologies atypiques (estimées en Suisse à environ 40 naissances par an) sont considérées comme une anomalie et, depuis les années 1950, des interventions chirurgicales et hormonales sont réalisées pour les « corriger ». Imposés, pratiqués sur des individus par ailleurs souvent en bonne santé et donnant des résultats peu satisfaisants, ces traitements sont désormais contestés, en particulier par des mouvements de défense des personnes intersexes et par certains médecins. Ces luttes ont d’ailleurs abouti dans quelques pays, qui permettent l’inscription des individus, notamment des personnes intersexuées, dans un sexe neutre, conformément aux recommandations du Conseil de l’Europe. Les organes génitaux externes ne sont du reste pas partout ni toujours le critère déterminant de l’identité sociale de sexe (voir par exemple les « vierges jurées » ou les « Mahu »).


Prenons un autre critère du sexe, les hormones, qui sont souvent évoqués comme distinguant les hommes et les femmes à la fois sur le plan morphologique et comportemental. Or, le taux d’hormones est affaire de quantité (et non de qualité) qui de plus varie au cours de la vie et en fonction des activités des personnes. Par exemple, l’entrainement sportif peut conduire à une importante production endogène de testostérone et au développement de morphotypes peu différenciés entre un et une sportive de la même discipline. Mais en raison de l’idée que tant les corps que les scores des hommes et des femmes doivent être différents, et plus précisément que les corps des femmes sont moins performants et leurs scores moins bons que ceux des hommes, des sportives ayant réalisé des résultats jugés « trop bons » se sont vues contester leur identité de sexe… et retirer leur titre ! Toutefois, aucun des « tests de féminité » utilisés dans ces cas n’a été jugé entièrement fiable par le Comité olympique. De manière générale d’ailleurs, les différences morphologiques entre les hommes et les femmes, comme les muscles, la pilosité, la grandeur, la forme du bassin, etc. sont si variables d’un individu à l’autre qu’on constate autant sinon même davantage de différences à l’intérieur de chacune des catégories de sexe qu’entre les femmes et hommes.


Les compétences, les comportements, les goûts, les connaissances, les attitudes, etc. résultent en effet des apprentissages ou, plus généralement, de la socialisation, qui a lieu sur tout le parcours de vie. Cette socialisation est extrêment sexuée, comme en témoignent les jouets, les habits, les activités, etc. que l’on propose soit aux filles, soit aux garçons, ou comme en témoignent les normes en matière de sexualité, les attentes à l’égard de la formation, de parentalité, de la carrière, et tous les rituels qui séparent les femmes des hommes (les vestiaires, les wc, la division de l’espace, par exemple dans les cours d’école, etc.). Des chercheuses féministes parlent de socialisation sexiste car elle ne consiste pas seulement à produire des différences entre les sexes, et par là à restreindre les possibles des individus, mais elle dévalorise également ce qui est associé aux féminin et produit des discriminations de genre. En bref, la socialisation exagère et produit des différences, qui sont également des privilèges et des discrimations, entre les individus en fonction de leur assignation à un sexe ; mais ces différences passent pour aller de soi en étant expliquées par nos supposées natures féminines et masculines, alors qu’elles ne sont ni facilement acquises ni ne distinguent bien les catégories de sexe, ce qui contribue à les rendre invisibles en tant qu’injustices.


Si les qualités associées aux femmes et aux hommes découlaient de la biologie, elles n’auraient en effet pas besoin d’être apprises : or, dans nos sociétés, les garçons doivent par exemple apprendre à se battre, à ne pas pleurer, à se détourner des poupées, à prendre l’intiative des rencontres amoureuses, etc. alors que les filles ne doivent pas apprendre à se battre, mais à être empathiques et émotives, à aimer les princesses et à espérer le prince charmant… Mais encore : si les qualités associées à chacun des deux sexes découlaient de la biologie, elles ne donneraient pas non plus lieu à une multitude de résistances de la part des individus ; car nous résistons – ou nous soumettons à contre-cœur ou avec révolte – à celles des pressions dont nous sommes la cible, en tant qu’homme ou que femme, qui nous semblent injustes ou trop oppressantes. Des individus et des collectifs qui se définissent comme trans* refusent d’ailleurs leur assignation à l’un des deux sexes ou, plus radicalement, refusent de répondre à l’injonction d’être soit un homme soit une femme, revendiquant une existence non restreinte par ces catégorisations.


La croyance en la différence des sexes structure donc nos représentations et nos activités, mais elle ne représente pas la variété des identités individuelles, notre identité de sexe se construisant d’ailleurs en interaction avec d’autres socialisations, comme la socialisation de classe, de génération, la socialisation sportive, professionnelle, etc. D’ailleurs, en quoi le fait de posséder des ovules et un vagin ou des spermatozoïdes et un pénis devrait-il impliquer autre chose que les rôles dans la procréation ? En d’autres termes, en quoi des ovules et un vagin entraineraient-ils des aptitudes verbales, des penchants pour le soins et l’écoute, voire pour le ménage et le rangement, etc. et des spermatozoïdes et un pénis des aptitudes en mathématiques, des penchants pour l’autorité et les défis, ou encore le goût du travail à temps plein ?

Pour aller plus loin (certains liens sont également activables dans la notice)


Sur le troisième sexe

Trois articles passionnants :

Hérault, Laurence. (2009). Les « vierges jurées » : une masculinité singulière et ses observateurs. Masculinités, 27, 273-284 : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00438673/document

Lacombe, Philippe. (2008). Les identités sexuées et le « troisième sexe » à Tahiti. Cahiers du Genre, 45, 177-197 : https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2008-2-page-177.htm

Douaire-Marsaudon, Françoise. (2008). La crise des catégorisations relatives à l’identité sexuée. L’exemple du “troisième sexe”. In Irène Théry & Pascale Bonnemère (Eds.), Ce que le genre fait aux personnes (pp. 277-296). Paris: EHESS.


Sur l’intersexualité

Une numéro de revue consacré à l’intersexualité (mise en perspective critique et témoignages) : Kraus, Cynthia, Perrin, Céline, Rey, Séverine , Gosselin, Lucie , & Guillot, Vincent. (2008). Nouvelles Questions Féministes [A qui appartiennent nos corps ? Féminisme et luttes intersexes] 27(1), 4-14.

Un article présentant la prise en charge en Suisse : Phang-Hug, Franziska, Kraus, Cynthia, Poalini-Giacobino, Ariane, et al. (2016). Patients avec variation du développement sexuel: un exemple de prise en charge interdisciplinaire. Revue médicale suisse, 12, 1923-1929.

Une émission qui explique l’intersexualité de différents points de vue (génétique, chirurgiens, personnes intersexe : https://pages.rts.ch/emissions/36-9/prime/4302693-un-corps-deux-sexes.html?anchor=4433097#4433097


Sur les critères du sexe

Un entretien avec une biologiste : Fausto-Sterling, Anne, & Touraille, Priscille. (2014). Autour des critiques du concept de sexe. Entretien avec Anne Fausto-Sterling. Genre, sexualité & société [En ligne], 12(Automne 2014) : http://journals.openedition.org/gss/3290

Sur les tests de féminité, une vidéo d’Anais Buhon : https://matilda.education/app/course/view.php?id=166


Sur la socialisation différenciée

Un article fondateur : Mead, Margaret. (1963). Sexe et tempérement. In Margaret Mead (Ed.), Moeurs et sexualité en Océanie (pp. 311-320). Paris: Plon.

Un article qui rend compte d’une recherche toute récente auprès de jeunes femmes et hommes en France : Macé, Eric, & Rui, Sandrine. (2014). Avoir 20 ans et “faire” avec le genre. In Sylvie Octobre (Ed.), Questions de genre, questions de culture (pp. 53-74). Paris: Département des études, de la prospective et des statistiques.

Un ouvrage présentant différentes recherches : Dafflon Novelle, Anne. (2006). Filles-garçons. Socialisation différenciée? Grenoble: PUG.

Et un ouvrage discutant de la croyance en la différence des sexes : Mosconi, Nicole. (2016). De la croyance à la différence des sexes. Paris: L’Harmattan.


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